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L'analyse en

C O U L E U R S

Pour réaliser Taxi Driver, Scorsese sélectionne son acteur préféré ainsi que sa ville favorite pour tourner. Ainsi, Robert de Niro interprète le personnage principal du film, Travis Baker. 

Toute l'action se déroule à New-York, ville de Scorsese par excellence.

La séquence que je vais ici analyser comporte 39 plans, elle s'inscrit dans le début du film Taxi Driver peu de temps après que le personnage principal, Travis Baker, se soit présenté pour travailler en tant que chauffeur de taxi de nuit dans les rues les plus malfamées de New-York. 


Taxi Driver est l’histoire d’un solitaire frustré qui se réalise dans un déchaînement meurtrier. Au-delà de son propos morbide, le film traite de la solitude urbaine et de l’usage de la violence. Il introduit aussi le thème de la guerre du Vietnam et interpelle le sens moral du spectateur. Ainsi, au début du film, Martin Scorsese, le réalisateur, évoque la guerre du Vietnam en nous présentant Travis Baker, un ancien "marine" revenu à la société civile qui tente de s’intégrer. Le passé du personnage n'est cependant pas évoqué, seuls quelques sous-entendus nous permettent de le comprendre durant le film, par exemple, au début du film lors de l'entretien d'embauche, Travis répond comme un soldat avec des réponses brèves et neutres, de même, lorsque Travis se prépare à assassiner le candidat Palantine, sa mise en condition ressemble à celle d’un soldat partant au combat et la coiffure mohawk qu’il adopte est celle que des "marines" portaient dans la jungle. 

 

La séquence que j'ai sélectionnée nous présente le métier du personnage principal et le monde dans lequel il évolue. Cette séquence nous amène peu à peu au thème de la couleur, cela nous permet de voir deux types de réalités différentes. 

Dans un premier temps, nous analyserons la complexité psychologique du personnage principal ainsi que les couleurs puis, dans un second temps, nous verrons par quels moyens le réalisateur nous emmène dans une véritable jungle urbaine aux côtés de Travis.

Martin Scorsese nous embarque aux côtés de son personnage dans une présentation de la société américaine nocturne. Les couleurs sont vives et trois se démarquent en particulier :

Le vert, couleur des enseignes et des néons, nous plonge dans le monde de la nuit à l'atmosphère pesante et glauque où se réunissent tous les vices (drogue, prostitution, violence…).

Le rouge est également très présent avec la couleur des enseignes des boîtes de strip-tease et films érotique, il évoque également la couleur de la marque phare de la société de consommation (Coca-Cola). Ce rouge représente le danger, la prostitution et le désir.

Enfin, la couleur qui tente de se fondre dans la masse malgré sa teinte vive est le jaune, couleur des taxis New-Yorkais qui traversent nuit et jour cette jungle urbaine. Le taxi jaune représente la bulle de protection de Travis au travers des quartiers mal famés. Le personnage parle lui-même de cette vie nocturne qu’il décrit en voix off comme étant de la « racaille » une ville où sévit « le fric et le vice ». Mais il cherche néanmoins à gagner sa vie en tirant profit de toute cette débauche.

Si le personnage principal semble en opposition avec cette société de consommation nocturne dans ses paroles, ce n'est pas véritablement le cas dans la réalité.

Au début de l'extrait, un panoramique horizontal nous présente le petit appartement mal entretenu dans lequel vit le chauffeur de taxi. On découvre ainsi un intérieur miséreux et sale qui nous fait comprendre que Travis n'a pas beaucoup d’argent. Le panoramique lent passe sur un miroir sale où l'on voit Travis en train d'écrire dans son journal intime et derrière lui se trouve une fenêtre grillagée. Ces deux éléments symbolisent le fait que Travis est prisonnier, enfermé dans sa propre réalité qu'il écrit dans son journal. 

Le film entier est perçu du point de vue de Travis : plongé dans son intimité, le spectateur est soumis à son quotidien, à ses rencontres et à son point de vue sur le New York qui l’entoure. Peu bavard en société, Travis s’exprime donc au travers de son journal intime, qui relate une sorte de chronologie maladive de son tourment.

Dans les paroles de la voix off, Travis cite le mot "pluie". C’est un terme qui revient à quatre reprises durant l’extrait. Au début, le personnage parle d’une journée de pluie qui va « laver ses ordures » (référence au monde de la nuit), plus tard dans son taxi, il parle de la pluie qui devrait "laver les rues de la racaille". L'eau est ici représentée comme pure, et Travis est déjà obsédé par cette idée de nettoyage.

Dans la bande sonore, on entend les voisins qui crient. On comprend que la chambre n'est pas isolée et qu'il vit dans un quartier pauvre et malfamé. La musique, très rythmée monte en crescendo, cela crée une atmosphère entre suspens et angoisse. Ce rythme appuyé souligne le côté maniaque et violent de Travis qui est encore mentalement sur un champ de bataille. Dans cette scène, on peut déjà apercevoir qu'il est vêtu de rouge et qu’il boit du Coca-Cola dans une pièce sombre et mal éclairée. Néanmoins les fenêtres qui donnent sur l'extérieur sont teintées de bleu, elles représentent une réalité plus froide mais plus réelle que celle dans laquelle vit Travis. 

Cette première séquence dresse un portrait d’un jeune homme pauvre qui entend perpétuellement les bruits extérieurs dans son petit appartement, cela lui permet de tenir bon, de toujours se sentir connecté à l'ambiance de la ville qui sera son terrain d'action. On peut aussi supposer qu'il ne supporte pas le silence qui pourrait lui rappeler des visions cauchemardesques de son passé au Vietnam.

Dans la scène suivante, on découvre un taxi qui semble avaler les kilomètres, dans les pires quartier de New-York où l'on croise des prostituées, proxénètes et voyous. Ces quartiers dangereux fascinent littéralement Travis, c'est pourquoi dans le plan où la caméra est attachée à la voiture et où on découvre la rue en travelling latéral, et on peut voir une enseigne clignotante rouge nommée "Fascination".

Dans cette longue séquence, les premiers plans présentent tout d'abord le taxi, on voit un gros plan du Taxi de "profil" qui nous rappelle le mouvement de travelling horizontal puis un gros plan sur le pare-brise arrière, le capot avant et enfin le rétroviseur. Martin Scorsese introduit ici le taxi de Travis, il nous le présente sous toutes ses coutures et nous présente également son "travail" avec une mise au point effectuée sur le rétroviseur. Celui-ci est net dans un premier temps puis il devient flou et l'arrière plan de la route qui défile devient net à son tour. Grâce à ce procédé, Martin Scorsese nous montre que le taxi est également un élément important de film, il utilise les gros plans comme une personnification afin de nous faire comprendre que ce taxi est vivant et que c'est lui qui transporte les clients de Travis.

Les plans qui suivent nous montrent le paysage dans lequel Travis et son taxi évoluent, du point de vue de l'intérieur du taxi. Par exemple, le plan des voitures filmé par le pare-brise arrière est un sur-cadrage : on découvre la ville par le biais des fenêtres ou des pare-brises du taxi. En outre, Scorsese nous présente Travis à travers une série de plans rapproché poitrine où on le voit de profil puis de face. Tous les plans de cette séquence sont filmés depuis l'intérieur du taxi. Ainsi, par le biais de la mise en scène Scorsese nous présente son personnage qui semble coupé du monde extérieur à l'abri dans son habitacle.

En effet, le réalisateur nous montre que Travis est tapis dans l'ombre de son taxi, une fois à l'intérieur il se sent protégé : comme invisible. Le plan qui le montre est celui filmé de la banquette arrière ou l'on voit Travis de dos en plan rapproché taille, assis sur son siège et plongé dans le noir : il est comme invisible aux yeux des autres, seul son taxi demeure apparent.

Le taxi jaune agit comme une bulle de protection pour Travis, c'est une sorte de monstre vivant qui le protège. L'eau est également présente sur le taxi, on peut ainsi penser qu'il s'agit encore du symbole de pureté qui protège Travis et son taxi du monde extérieur.

Les plans sont filmés de l’intérieur de la voiture. Travis ne se sent pas à l’aise avec les gens, il se protège dans son taxi et regarde, comme un spectateur à travers des cadres (fenêtres, pare-brise, rétroviseurs) l'atmosphère dangereuse du Bronx.

La mise au point sur le rétroviseur peut signifier que Travis regarde le monde d'une manière différente, le flou effectué sur le rétroviseur ferait le parallèle entre ce qu'il voit et la réalité. Pour lui tout est sale dehors, il n'y a que des choses qu’il faut nettoyer. 

En outre, dans la voix off, il revient une nouvelle fois sur la notion de pluie.

De même lorsque des clients montent dans son taxi, ils sont séparés de Travis par une vitre, il est par conséquent toujours coupé du monde extérieur. La scène où Travis prend ses premiers clients est filmée depuis la banquette arrière, on aperçoit le pare-brise qui est net au second plan et on distingue ainsi la devanture rouge de l'hôtel. Au premier plan, Travis et son habitacle sont flou. La caméra effectue un panoramique horizontal comme si elle tournait en même temps que la tête de Travis pour apercevoir ses clients. Lorsque l'homme et la femme entrent dans la voiture Travis n'a aucune réaction, la mise au point reste sur la pare-brise et il actionne le compteur sans un mot. Travis perçoit ses deux clients (un homme et une prostituée) d’un mauvais oeil car pour lui les relations sexuelles sont sales, il n’en a jamais eues. C'est pourquoi lorsque ces deux personnes montent dans son taxi, l’habitacle se teinte de vert et de rouge, ici, le vert représente le dégoût et le rouge le désir sexuel.

Le cadre dans le tunnel vert est décentré, il est penché du côté gauche. Il peut symboliser le déséquilibre de Travis mais également l'atmosphère obscène qui règne dans son taxi entre ses deux clients. 

Un gros plan sur le compteur nous rappelle que Travis évite de penser à ce qui se déroule dans son taxi, même s'il jette des regards furtifs dans son rétroviseur pour voir ce qui se passe derrière lui.

Le plan suivant commence par un fondu enchaîné qui marque une ellipse.

Dans un plan d'ensemble, on aperçoit le Taxi qui passe près d'un jet d'eau, puis avec un plan rapproché, Travis ferme la fenêtre car il s'approche d'un autre geyser qui va nettoyer la voiture de ce qui est en train de se passer à l'intérieur. En quelque sorte, on peut dire que Travis lave sa voiture de la misère sociale. 

Après avoir lavé sa voiture, la mise au point change, l'habitacle et Travis deviennent net, le pare-brise et l'extérieur deviennent flous, par cette mise au point, Martin Scorsese symbolise pour Travis, ce qui lui tient à coeur : le nettoyage. Le plan en mouvement sur le tableau de bord et la fenêtre nous permet d'apercevoir le matricule du taxi et la fiche d'identité de Travis fait une sorte de rappel de la guerre où il était fiché et identifié. 

Dans le plan suivant, le panoramique du taxi qui entre dans le garage est inversé, le taxi part à gauche et la rotation de la caméra part à droite. On est surpris de voir le taxi là où on ne l’attend pas. Il est imprévisible, comme Travis on ne sait pas vraiment de quoi il est capable. Cela peut être considéré comme un indice pour que le spectateur comprenne peut-être que ce personnage a "un problème", que ça ne tourne pas comme ça devrait, cette façon de filmer nous prépare à des choses auxquelles on ne s'attend pas.

Le plan rapproché de profil où l'on voit Travis prendre de la drogue dans son taxi nous montre de nouveau un sur-cadrage. Une fois de plus au matin, Travis lave sa voiture au garage pour effacer les traces de ses clients du soir. L’eau est ici représentée comme claire et pure, elle lave la débauche nocturne. Néanmoins, si Travis lave sa voiture, il ne se lave pas lui-même, il prend de la drogue et en fin de compte, il fait également partie de cette société de consommation même si le refuse de l’admettre.

 

Une fois encore, la lumière bleue qui représente la journée nous montre une autre réalité, plus douce, un peu froide mais plus réelle. Travis ne fait toujours pas partie de cette réalité puisqu'on le voit se rendre dans un cinéma en tenant une fiole d’alcool qu’il boit dans la rue. Il est toujours en décalage.

Travis est un personnage complexe qui tente de s'intégrer dans la société mais qui est inadapté à cause de la guerre. Même si le personnage semble détester ce qui l'entoure, il est tout de même tiraillé en son for intérieur.

En effet, son travail lui rapporte beaucoup d'argent, ainsi, il fait du profit sur le dos de la société de consommation, néanmoins, il y participe également, ceci nous est montré lors d’un gros plan sur le compteur qui tourne. Ainsi, au sein de sa réalité, Travis est toujours vêtu de rouge et l’enseigne du Coca-Cola est dans son dos lorsqu’il marche dans la rue.

​Travis fréquente les cinémas pornographiques et il s'y rend comme dans un cinéma normal. Il est de nouveau en décalage car il ne comprends pas en quoi cela peut choquer, c’est sa seule référence à l’amour, il mélange le sexe, l’amour et le désir. Dans un plan d'ensemble, on aperçoit le cinéma dans lequel il se rend, le « Show & Tell », celui-ci est éclairé par une devanture rouge, le Popcorn et la lumière sombre sont également teintés de rouge.

Dans ce début de séquence, les plans sur Travis sont des plans rapprochés au niveau de la poitrine tandis que les plans de Travis et de la caissière sont des plans américains. Cela symbolise la distance qu'il y a entre les deux personnages, tandis que le spectateur connaît déjà Travis et le voit donc en plan plus serré. Les plans rapprochés sur la caissière arrivent dès lors que Travis tente de la séduire mais qu'elle refuse. Scorsese nous montre la personnalité de la jeune femme qui ne se laisse pas faire et qui semble indisposée par l'insistance de Travis.

Les friandises sont filmées en plan rapproché en plongée.  Travis se retrouve une nouvelle fois confronté à la société de consommation en achetant des sucreries qu'il semble bien connaître puisqu'il a l'habitude d'en acheter. 

Travis est déséquilibré au niveau de la violence et au niveau sexuel. Il ne sait pas s'y prendre avec les femmes, ainsi quand il essaye de draguer la caissière il ne sait pas vraiment comment faire et est maladroit. Le champ contre champ entre lui et la caissière représente le conflit qu'il a involontairement créé. Dans ce plan, la statut de la vénus de Milo est en parfait décalage avec la situation actuelle. Elle représente l'idéalisation de la femme selon Travis, il ne sait pas ce qu’est une femme en vrai et ne sait pas s’y prendre, il est inadapté.

Enfin, le travelling avant de fin de séquence effectue une mise au point avant assez obscène sur le petit écran de la bobine du film, cela démontre une nouvelle fois la violence des images à laquelle Travis est confronté.

 

Dans cette séquence d'ouverture, Martin Scorsese nous présente le personnage de Travis Baker et son métier mais il nous montre également l’enjeu moral de son personnage qui essaye de se réintégrer dans une société qu’il considère comme une véritable jungle urbaine. Cela nous rappelle que Travis revient de la guerre et qu’il est toujours affecté par cette dernière, il ne dort pas, il répond comme un robot, il boit, se drogue et tente de vivre la nuit.  Le fait de découvrir l'histoire du point de vue de Travis suscite de l’empathie pour le spectateur qui plonge ainsi dans l’esprit dérangé du personnage et se retrouve impliqué dans l’enchaînement des évènements qu'il vit. 

Par le biais de la mise en scène et des couleurs, le réalisateur nous montre dès le début du film que son personnage principal est tourmenté en son for intérieur et obsédé par l'idée de nettoyage.

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